Aussi soudain que mérité, le succès critique et public de Get Out témoigne de la vitalité du cinéma de genre engagé sur grand écran. À mi-chemin entre le thriller horrifique et la satire sociale, le premier long-métrage de Jordan Peele raconte le week-end cauchemardesque d’un jeune homme (noir) parti rencontrer les parents de sa petite amie (blanche) à la campagne. Acerbe et paranoïaque, l’œuvre se révèle d’autant plus pertinente et politique dans le contexte d’une Amérique post-Obama. En salles depuis le 3 mai.
Outre son angoissante séquence d’ouverture, la dernière trouvaille de Blumhouse Productions (Split, les sagas Insidious et Paranormal Activity) débute à s’y méprendre comme une comédie romantique. Chris (Daniel Kaluuya) et sa petite amie Rose (Allison Williams) forment un couple mixte heureux. Ils sont beaux, jeunes et filent le parfait amour depuis plus de cinq mois. Pour le jeune afro-américain, le moment est venu de se frotter à une étape cruciale : la rencontre avec sa belle famille. Mais son appréhension est perceptible. « Est-ce qu’ils savent que je suis noir ? » demande-t-il à sa petite amie, stressé par l’imminente rencontre avec ses beaux-parents. Celle-ci le rassure : « Il n’y a pas plus tolérants qu’eux ».

Les tourtereaux décident alors de passer un week-end chez Missy (Catherine Keener) et Dean Armitage (Bradley Whitford), les parents de Rose, dans le nord de l’État. Arrivé sur le domaine familial, Chris perçoit un malaise. L’atmosphère paraît trop calme. Le personnel de maison – exclusivement noir – se montre trop joyeux. Il se met alors à penser que cette atmosphère tendue est liée à sa couleur de peau. Le doute persiste à mesure que s’enchaînent des incidents aussi anodins qu’inquiétants. Armé de son appareil photo, l’invité se met à traquer l’étrangeté de ses hôtes. Progressivement les masques tombent, les apparences craquent…Chris va assister impuissant à la montée d’une horreur impensable, orchestrée par des suprémacistes blancs.
Non sans un malin plaisir, Get Out brouille habilement les pistes et joue avec les acquis des spectateurs. Progressivement, la comédie acerbe se substitue à la légèreté des premières scènes. Lors de savoureux échanges, Jordan Peele épingle la bourgeoisie américaine blanche et progressiste. Connu pour son travail d’humoriste pour la série télévisée à sketchs Key and Peele, le cinéaste offre de vrais moments humoristiques et provocateurs. À l’image d’un déjeuner mondain où le héros devient l’objet de regards insistants, de gestes intrusifs et de remarques embarrassantes.
Mais au delà du comique grinçant, le film distille une paranoïa insidieuse et réflexive. Elle contamine la sérénité du héros et bientôt celle du spectateur. Malin, Jordan Peele concentre la psychose de son long-métrage sur l’incertitude grandissante de son héros : quelque chose ne tourne pas rond, et ce malgré les apparences et les œillades faussement doucereuses. D’apparence paisible, la demeure bourgeoise terrifie également par son isolement. Le cinéaste nous invite alors à voir ce monde étrange à travers les yeux de Chris. Chaque détail – un personnel de maison trop souriant, un téléphone débranché à plusieurs reprises, des échanges de regards furtifs – trahit un inconfort et prend une ampleur de plus en plus inquiétante.
Ce dérèglement démasqué par le héros n’est pas sans rappeler les meilleurs épisodes de La Quatrième Dimension de Rod Sterling, série culte des années 1960. Avec Jordan Peele, le cinéma de genre devient l’instrument redoutable d’un discours engagé et grinçant. Le réalisateur prend le racisme et le transforme en horreur. Celui de son film a un tout autre visages que celui de la haine et de la peur. En témoigne le père de Rose, inexplicablement fasciné par la culture noire et surtout par Barack Obama, « le meilleur président des États-Unis ». Plus systémique et sournois, le racisme dénoncé ici se déploie complètement dans la dernière partie de l’œuvre. La machination des Armitage se révèle, en réalité, bien plus diabolique et perverse que prévu.

Si la dimension horrifique est indéniable, elle revêt, avec une mise en scène soignée, une apparence subtile et cérébrale. Bien qu’un peu longue l’exposition du film s’impose finalement comme une entreprise intelligente. Elle permet ainsi à son cinéaste de distiller méticuleusement la paranoïa et l’angoisse. Celle du personnage principal mais aussi celle de son ami inquiet de le savoir entouré par autant de personnes blanches. Et évidemment celle du spectateur. En véritable cinéphile, Jordan Peele fait de son film un hommage maîtrisé aux grands films paranoïaques du Nouvel Hollywood. À mi-chemin entre L’Invasion des profanateurs (Philip Kaufman, 1972) et Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968), son cauchemar éveillé brocarde les névroses et les démons d’une Amérique encore profondément marquée par ses luttes sociales et ethniques.
Grinçant dans son discours politique et philosophique, Get Out échoue pourtant à se montrer aussi radical dans son dernier acte. Irrévérencieuse, l’ultime révélation est aussi brutale que brève. La résolution du film aurait gagné à être traitée aussi adroitement que sa première moitié anxiogène. Efficace, le concept aurait également mérité une exploration plus fouillée. À cela, Jordan Peele privilégie des moments jouissifs et cathartiques mais aussi plus convenus. Des frustrations et des déceptions que l’on pardonne aisément, au regard des qualités indéniables d’un long-métrage qui se distingue sans difficulté des dernières productions horrifiques américaines. Il serait donc dommage de bouder un tel plaisir.
Très beau texte ! Rien que la bande annonce m’avait interloqué ! Il va falloir que j’aille voir ce film ! Merci 😉
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Merci Éric, c’est gentil de ta part ! 🙂
Le film dénote réellement dans le paysage des thrillers horrifiques. Dans ses grandes lignes, le concept est assez fou. Et c’est encore plus frappant de visionner le film dans ce contexte politique (mondial) actuel.
De plus, le film a suscité pas mal d’engouement auprès des spectateurs pendant la séance (applaudissements, soulagements, rires nerveux…). De là à dire que c’est entièrement mérité, je préfère te laisser en juger par toi-même. J’espère qu’il te plaira. 😉
Bonne journée à toi !
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Tiens tiens tiens ce film pourrait m’intéresser !
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Je ne peux alors que te conseiller de foncer le voir en salle. 🙂
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Je suis d’accord avec toi – même sur les quelques défauts possibles (certainement liés au manque d’expérience du réalisateur). Un film de genre utile, bien foutu, profond, parfois drôle (sans jamais casser la tension – quel malaise que je ressentis tout le long), il faut absolument voir ce film.
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Content de savoir qu’on partage la même opinion. 🙂
C’est l’une des plus belles surprises du genre, depuis le début d’année !
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tu en parles très bien Simon et tu me donnes envie de le découvrir. Je l’avais coché sur ma liste de films à voir car l’histoire et son traitement m’attirent. On en reparlera. Bonne soirée à toi ! prochain film pour moi le « Alien Covenant » de Ridley Scott bonne soirée Simon 😉 🙂
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Merci Frédéric, c’est gentil de ta part. Si tu l’as coché dans ta liste, tu as bien fait. Je pense que le film mérite amplement son déplacement (bien que je le trouve, avec du recul, légèrement sur-estimé). C’est un moment aussi jubilatoire qu’angoissant.
Bonne soirée à toi !
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je ne sais pas trop à quoi m’attendre pour le Alien, on va voir c’est tellement mythique comme franchise 🙂
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Je vais normalement le découvrir demain soir. Je suis à la fois très excité et très méfiant. « Alien », premier du nom, fait partie de mes films préférés. Depuis, je n’ai cessé d’être déçu et frustré par les suites et « Prometheus » que je trouve raté.
Seule la suite de James Cameron se distingue, pour moi, par son ambiance radicalement différente et ses scènes jouissives. 🙂
Vivement qu’on en reparle après visionnage !
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c’est vrai que le Alien de Cameron est énorme ! prometheus m’avait ennuyé.. je suis pareil, je ne sais pas à quoi m’attendre mis à part quelques frayeurs avec la créature Alien qui est un sommet du mal sur grand écran. Ridley Scott c’est fourvoyé sur pas mal de film (l’affreux « exodus ») mais il est capable aussi du meilleur.. on croise les doigts et on en débat prochainement 🙂 🙂
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Oui, cela fait un moment que Ridley Scott ne nous a pas offert un très bon film. J’espère qu’il conjurera le sort avec « Alien Covenant »
Malgré mes réticences, je suis quand même excité, comme un gosse, d’aller voir un « Alien » sur grand écran.
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moi aussi ! les premiers échos des USA sont plutôt positifs, on verra 😉
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Ah ? J’avais trouvé Prometheus intéressant pourtant… L’homme qui recherche son créateur, l’Alien qui est en fait une création bien involontaire dû à une arme de destruction massive et David l’androïde qui se prend pour Dieu, j’avais trouvé ça cool. Même s’il m’a fallu voir le film deux à trois fois avant de le réaliser et de le comprendre ^^
J’ai surtout peur que le nouvel opus ne soit qu’une maigre resucée du premier épisode, en moins bien (parce que bon, Ripley, y’en a qu’une, quoi).
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Sans oublier que les bandes-annonces laissent présager un film qui mise beaucoup sur l’action et pas tellement sur l’horreur. Donc complètement différent du premier opus.
Certes, il ne faut jamais se fier aux bandes-annonces mais je crains le pire. 🙂
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Pour une fois que je vois un film que tu chroniques …. J’ai adoré – angoissant et flippant à souhait avec une montée progressive de la tension .
Humour Noir au rendez vous 🙂
Merci pour cette passionante chronique
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Je te remercie pour ton commentaire. 🙂
Content de voir qu’on est d’accord sur ce film.
Bonne journée à toi !
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Ehhh , et il y a une fin alternative au film !!!!
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Oui, en effet ! Et j’aurais personnellement préféré voir cette fin alternative dans la version définitive. Le propos cynique aurait gagné en grandeur. 🙂
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